… sera de raconter des histoires et de concevoir des jouets.
C’est gentil dit comme ça, à condition d’avoir le profil et les compétences d’un lutin du Père Noël. Je passe sur les circonstances qui m’ont amenées à faire ça… ce serait trop long et improbable. Alors on zappe.
J’ai abordé cette proposition avec beaucoup de circonspection, mon client étant issu d’un grand groupe marchand. Ce type de business n’étant pas, pour différentes raisons professionnelles et personnelles, ma tasse de thé.
Heureusement derrière une enseigne, il y a des humains. Il y a aussi des codes et des process très particuliers mais certains interlocuteurs valent qu’on s’intéresse à leur projet. Et là, j’ai eu beaucoup de chance, parce qu’il s’agissait presque d’un challenge personnel de la part de mon commanditaire, une implication personnelle que j’ai partagé avec beaucoup de curiosité.
La mission: Créer trois collections en nom propre pour les tout-petits (0 -5 ans), déclinant chacune une gamme de jouets et de mobilier textile, le tout avec un look classique susceptible de plaire au plus grand nombre, grande distribution oblige.
Objectif n°1 : Faire de la qualité en restant dans une gamme de prix cohérente (Aïe ! voir objectif n°2).
L’objectif n°2 : Faire du Made in France …euh… bon, on ne va pas se mentir, ce n’est pas faute d’avoir essayé jusqu’à l’épuisement, mais la conception, c’est sûr, était « Made in Chez Nous ». Et puis de toute façon ce n’est pas moi qui fait les règles…
Pour la petite histoire, celles des coulisses, j’ai participé à chercher des couturières expérimentées dans ma région, puisqu’il était souhaité de faire le prototypage des produits au niveau local. Vous pensez bien que dans un département, le Nord, réputé pour son passé textile, ça ne manque pas. J’ai été gentiment invitée à prendre un café par les plus conviviales. Le mot clef c’est « Passé » justement… ces dames m’ont répondu avec beaucoup de délicatesse et non sans un sourire ironique qu’il n’y avait « aucune raison, maintenant que je suis à la retraite de rendre service à des gens qui ont contribué à m’enlever mon outil de travail alors que pour beaucoup d’entre nous, on y a mis nos vie depuis l’âge de 16 ans… Vous reprendrez bien une tasse avant de partir ? «
J’édulcore. Parfois c’était plus fleuri… « Oui, c’est gentil, sans sucre… Merci. »
De son côté, l’infatigable DG avait fini par dénicher deux couturières avec des profils atypiques, partantes pour s’essayer à un domaine qui leur était étranger, le prototypage de jouets en textile. Par la suite, malgré la meilleure volonté du monde et la collaboration avec des ateliers locaux (cf. MIDITEX), la mise en production se fera de l’autre côté de la Méditerranée.
3 collections pour l’enfant de 0 à 5 ans …
Là-dedans, mon rôle est de trouver l’identité des collections, de faire le storytelling, de créer et de dessiner les produits, les imprimés textiles, valider le sourcing, et de concevoir le logo, le packaging, les étiquettes, etc…
Le tout, bien évidemment, en respectant les impératifs du cahier des charges, chance d’avoir déjà travailler en direct avec des techniciens. Car le premier regard vers le designer, c’est plutôt dans le genre, goguenard » Qu’est-ce qu’elle va nous pondre l’artiste… », suspicieux » Elle sait ce qu’elle fait au moins ? » voire carrément bienveillant « OK ! Vas-y ! Balance-la ton idée, on va voir si elle s’écrase « …
D’où l’intérêt de savoir bosser en équipe et d’être capable d’échanger en bonne intelligence avec des professionnels persuadés qu’on ne parle pas le même langage. C’est même tout l’intérêt de ce travail.
Au commencement, était le "doudou".
Je pense que je n’ai jamais autant dessiné en amont d’un projet, et de façon très inhabituelle, parce que tout ce que je dessinais se rapportait à l’affect, des valeurs, des noms, des univers ludiques complets et cohérents.
Un graphisme simple et consensuel était exigé pour des raisons de marketing bien évidemment, mais aussi de coûts de production. Une autre exigence était d’optimiser le design, des produits riches en effets, textures et options de manipulations, avec le moins possible, de l’objet à son packaging.
Autre approche que j’avais décidé de privilégier, rallonger autant que possible la brève durée de vie de ce type de produit. Pas tellement sur les « doudous de compagnie » dont l’obsolescence est bien souvent décidée par l’enfant… mais surtout sur les grosses pièces, en proposant une réutilisation évolutive, pratique ou décorative. Autant faire en sorte, compte tenu de l’investissement, que le tapis microbilles de Bébé devienne un coussin de sol, que le tapis d’activité puisse finir accroché sur un mur et que ces pièces puissent être complétées par leurs accessoires en fonction des besoins. Suite logique de ce parti pris, la gamme de couleurs développée se devait d’être proche des codes plébiscités par les parents lors de l’aménagement de la chambre de l’enfant.
Bien évidemment, l’argument de fidélisation du client à la gamme, le fait de connaître les réflexes d’achat relatifs aux cadeaux de naissance venaient renforcer ces axes de conception. Une stratégie marchande n’empêche en rien une démarche éthique bien au contraire. A mon avis donner de la pertinence à un produit c’est déjà avoir de la considération pour son client. Au départ j’ai proposé six thèmes, Campagne, Forêt, Jungle, Mer, Ours et Rêve pour en retenir que trois d’entre eux, l’incontournable ours, l’évident thème féerique et une alternative mixte avec la mer. Tout le monde étant sensé y trouver son compte.
Des monstres, du fun, du rêve … et des contraintes.
Simplifier et encore simplifier sans donner l’impression d’un appauvrissement. L’avantage d’être en mesure de choisir les matériaux et de réaliser les dessins en même temps, c’est de pouvoir aménager le design et limiter les modifications liées à de mauvaises surprises.
Des tissus extensibles parfois combinés avec des tissus qui ne le sont pas vont largement impacter le patronage, sans parler des difficultés relatives à la manipulation lors de la réalisation des toutes petites pièces ou encore de la plus ou moins libre interprétation d’un dessin par la couturière. Une bonne communication et une réelle collaboration entre et avec les brodeuses et les couturières est indispensable. Le but est de trouver des solutions communes et raisonnables, dans l’intérêt du projet et non pas pour « arranger les bidons » de celui ou celle qui va faire. Manager et ménager les ego font parties du savoir-faire pour arriver au meilleur des résultats.
Si ce n’était pas compliqué ce serait moins drôle, dixit le Directeur Général. Parce que, voyez-vous, il faut planquer les solides coutures, les doubler, ajouter des doublures, bref supprimer l’éventuel point de faiblesse, les normes sont drastiques à tous les niveaux. Arrachage, enflammement, ingestion… la paranoïa est le principe suprême qui préside la conception et la fabrication.