Faire dans la dentelle

Voici en quelque sorte, le point d’origine de ma trajectoire professionnelle. Alors en stage au sein de l’entreprise Noyon, dentellier à Calais, j’ai été approchée et recrutée par l’ établissement Brunet Dentelle. En saisissant cette opportunité, j’ai dès lors très vite évolué de l’artistique au design, en intégrant tous les paramètres relatifs à l’application de la créativité dans un contexte industriel.

C’était une excellente transition, puisque ma première démarche a été de comprendre que je pouvais mettre de la distance entre mon ego et le fait d’affirmer un style. La dentelle est une école exigeante et rigoureuse, on y apprend à être à la fois créateur et technicien, on nourrit les machines tout en cherchant à optimiser leurs capacités à générer une innovation. On exploite les incidents de production comme on taille des diamants bruts, un « raté » de la machine devient un potentiel de création.

Art et rentabilité. Imagination et ingénierie.

Anticiper la prise d’une teinture sur des fils de compositions différentes, chercher le volume sur un plat, exprimer du mouvement pour arriver à ce petit morceau de matière faisant tout le charme d’une lingerie fine. Qu’il s’agisse de la collection de l’entreprise ou de la commande d’un client, l’esquisseur part de très loin… comme je le pense, dans tous les métiers d’art, il faut rêver beaucoup pour arriver là où il faut.

Tout est source d’inspiration, architecture, joaillerie, biologie, etc…, je savais voir, mais j’ai appris à regarder… pendant ma formation, j’ai vu mes premières esquisses sortir sur les métiers, puis être achetées par des clients, tel que Wacoal, Chantelle, Chantal Thomass… j’ai acquis des réflexes et des mécanismes, et aussi gagné en analyse et en rapidité d’exécution. Le revers de cet apprentissage était de sombrer dans la facilité du répétitif, s’enfermer dans une sorte de « trouble obsessionnel créatif », un genre de contentement commercial bienvenu, si on parle de rentabilité à court terme. Bien que j’y ai aussi rencontré des professionnels extraordinaires qui avaient su se construire et garder une forte identité, la redondance est un piège qui a fini par m’effrayer parce que justement je voulais en apprendre plus sur mes capacités en allant me confronter à d’autres domaines.

Il reste que les bases acquises dans l’industrie dentellière, en particulier au sein des établissements Brunet, sont les fondations de ma propre construction en tant que designer. J’y ai développé mon intérêt à collaborer avec les techniciens, les dessinateurs (qui réalisent la mise en carte des esquisses), jusqu’aux conducteurs de machines à tisser qui savent « écouter » leurs mécaniques. J’ai aussi découvert mon goût pour les échanges avec des commerciaux passionnés par leur produits. En fait, la créativité, je l’ai vu s’exprimer dans toutes les strates de cette entreprise.

Dès le commencement de mon parcours, j’ai pu faire la différence entre une démarche artistique personnelle et une production d’idées au service d’une logique commerciale. Cela pourrait paraître évident, mais non, dans cet exercice j’ai pu voir qu’il y avait parfois une confusion entre les deux qui pouvait nuire à la fois à l’identité de l’entreprise et à celle du créatif.

Extraits de travaux réalisés pour les établissements BRUNET – Calais