Bureau de style(s)

Pendant une formation en infographie textile, je rencontrais le dirigeant d’ALPAC, une entreprise axée sur la fabrication d’articles pour la maison. Le produit phare en était le plateau en acrylique et résine polyester, des gammes de vaisselle, porcelaine, faïence et verrerie ainsi que du textile complétaient l’offre. J’étais intéressée par la multitude de ces supports sur lesquels je n’avais pas encore eu l’occasion de travailler. La petite taille de l’entreprise, son ambiance, très différente de ce que j’avais connu dans le monde dentellier, et son mode de fonctionnement très instinctif m’ont interpellée.

À l’époque, des créatifs freelances étaient employés pour répondre à des besoins au coup par coup, mais leurs dessins étaient sur-exploités suivant la mode déjà dépassée à l’époque du « All-over », créant un effet répétitif, linéaire et envahissant. La décoration intérieure était alors en mutation et n’aspirait qu’à dépoussiérer ses codes, et mettre en avant  » l’assorti-désassorti ». J’ai alors proposé de créer un bureau de style en interne pour recoller aux tendances, être en mesure de dissocier les différentes gammes d’articles, en proposant des collections à coordonner, affranchies de la dictature du motif unique.

L’identité de la marque ne me correspondait pas d’un point de vue personnel. Cependant, j’avais acquis suffisamment de recul pour traiter ses caractéristiques, sans y imprimer mes propres goûts, puisque ce n’était pas l’objectif du poste.

J’ai donc dessiné, en travaillant sur les styles très divers, des collections internes en suivant l’esprit maison auquel les dirigeants tenaient. J’ai développé l’offre de plateaux dans toutes les gammes proposées, et mis l’accent sur le thème du petit déjeuner. Le nombre de produits référencés est vite devenu remarquable pour une PME qui avait l’avantage de pouvoir maîtriser une bonne part de sa production. L’avantage d’avoir plusieurs designers en un, qui n’empêchait en rien la collaboration sur des lignes spécifiques avec des stylistes freelances.

S’est ajouté aux collections courantes, le développement de produits à façon, pour diverses marques telles que Françoise Saget, Maxim’s de Paris, Fauchon, Le torchon à Carreaux, puis des exploitations de licences…

Seulement, pendant que je planchais de plus en plus à la demande sur les histoires des autres, l’entreprise oubliait d’écrire la sienne, malheureusement il ne m’appartenait pas de décider de l’ordre des priorités.

Jusqu’à l’indépendance…

S’assurer une transition entre une activité salariée et indépendance est largement facilitée lorsque vous n’avez pas à chercher vos clients. C’est même assez confortable si on excepte le fait qu’on doit faire le deuil de ses weekends, soirées et jours fériés … mais comme en tant que salariée j’étais déjà régulièrement dans ce cas de figure, le fait d’avoir mon bureau à la maison m’a permis de redistribuer mon travail de façon plus honnête. J’ai cessé de m’obliger à en faire plus parce que la plupart des gens intégraient le travail à domicile comme une échappatoire aux devoirs d’employé(e) intra muros, et que c’était juste vu comme l’opportunité de procrastiner aux dépends de l’entreprise rémunératrice. Dixit les bien-pensants collés à la machine à café et qui passent sur l’ordinateur du bureau leurs commandes sur Amazon. Tout en oubliant le fait que si je ne faisais rien, et bien, ça se serait vu de suite, étant seule à mon poste et que si je bosse tard… personne ne le sait (fin du mouvement d’humeur, merci d’avoir tenu bon).

Bref, j’ai rétabli un équilibre… en bossant tard, pour moi. Mesure salvatrice, puisque nombre d’entreprises étaient, à cette période, en difficulté. Quitte à perdre un jour son job, autant s’en préparer un autre sur-mesure. C’était compliqué, mais le fait d’être choisie et sollicitée par ces clients sans intermédiaire, d’échanger simplement dans un climat de confiance était vivifiant. Une communication fluide, des projets bien définis et de nouveau j’étais pacifiée avec le boulot de créatif. On me commandait des dessins, je les livrais et c’est tout. Cette forme de mercenariat m’a aussi fait prendre conscience de mon réel besoin d’avoir le sentiment de travailler en équipe. Il paraît qu’on ne peut pas tout avoir. Mais l’avantage avec un tel statut c’est qu’on peut s’attendre à tout.